INÊS ZENHA

ARCO Lisboa, May 2022

Exhibition view “Impénétrable” - Double V Gallery, March 2022

Exhibition view “Éternel été” - Double V Gallery, July 2021

[FR]

Née en 1995 au Portugal, Inês Zenha vit et travaille entre Paris et Lisbonne.

Son oeuvre prend forme en un large éventail de médiums ( installation, peinture, céramique ) à travers lesquels elle remet en cause la représentation formelle et conceptuelle du corps. Un corps blindé par les valeurs hétéropatriarcales, qui tente de se libérer et créer un nouvel espace. Il s’agit d’identité, de désir, de la vulnérabilité et d’enjeux de pouvoir en constante évolution. Fraîchement installée à Paris suite à sa résidence à la Folie Barbizon, Zenha se voit consacrer une importante visibilité par la galerie Double V en 2022 avec un focus à Arco Madrid, Arco Lisbonne et sa première exposition personnelle en France. Son travail figure depuis dans la collection du centre d’art Dos de Mayo de Madrid, et dans la collection MARVAL à Milan.

Texte par Chloe Bonnie More :

La peinture d’Inês Zenha est une grande maison dans laquelle elle se réfugie depuis plusieurs années pour se préserver d’une forme d’insanité. J’ai un souvenir très exact de notre première rencontre lors de son diplôme à la Central Saint Martins à Londres. Notre conversation a débuté sur un bout de banc en dehors de l’école, avec une roulée et un gobelet en carton. Nous étions alors tou.te.s étudiant.e.s et fauché.e.s. Pourtant je n’ai pu m’empêcher de me sentir submergée par l’oeuvre d’Inês qui — malgré une certaine précarité des matériaux qui nous ressemblait bien — me saisissait d’une puissance presque assommante. Monumentale, c’est ainsi qu’elle m’apparaît toujours en souvenir lorsque des années plus tard, je retrouve Inês à l’atelier, les mains dans la terre ou couvertes de peinture. Un vertige silencieux pourrait aussi bien définir cette installation que les années qui se sont écoulées depuis sa création. Le vertige est également une forme de relation que Inês Zenha entretient avec ses oeuvres dans une intimité parfois extrêmement recluse et exténuante, contrastant avec l’illusion d’extravagance qu’elles peuvent inspirer.

Pour l’exposition Impénétrable, Inês Zenha oscille entre l’abstraction et la figuration, entre le bleu et le rose pastel, avec ses sculptures de fenêtres écorchées et Silently rooted in us : des peintures de guerrier.è.re.s. Communément associé.e.s à la guerre, ces guerrier.ère.s ne sont pas sans rappeler les Pénates : des divinités romaines protectrices du foyer et à l’origine du mot pénétration. Imaginée comme un fragment de foyer, la sculpture Re-assembling femininity est faite de débris de portes et de fenêtres qui ont visiblement souffert d’impacts, et parviennent pour autant à résister à toute tentative d’intrusion. Dans son installation, Inês Zenha crée un safe space impénétrable et offre un silence que celleux qui visitent l’exposition sont invité.e.s à partager. Cette latence à l’oeuvre n’est autre que l’attente que « soit pleinement restaurée la valeur de la parole1 ».

Quelle ironie lorsqu’on sait que la définition de la pénétration est celle de pénétrer dans un lieu, mais aussi celle de la « faculté à saisir les choses subtiles ». Les rituels de protection ont donc disparu, laissant place à l’intrusion et l’idée selon laquelle celle- ci permet de saisir le monde et ses subtilités. En réponse à la brutalité insidieuse de cette définition, Inês Zenha réinvente des figures protectrices dénuées d’intérêts séxualisés. En effet, les personnages fluides autobiographiques de Zenha reviennent dans la peinture comme un gimmick. Ils transitent entre la femme et l’animal afin de rendre visible une hybridité des genres que l’artiste associe à l’eau : insaisissable et impénétrable. Le liquide a donc une place centrale dans la toile, qui d’une part agit comme des racines qui lient les guerrier.è.re.s, tout en les coupant de leurs membres sexués apparents, comme pour rompre avec eux. À propos de la thérolinguistique et de l’univers communicationnel des animaux, Vinciane Despret souligne «l’impérative nécessité de rompe avec le privilège du visible2 ». Comme le silence, l’invisible produit la manifestation d’un malaise et « la tentative immédiate de le juguler comme un intrus3 ». Dans une dialectique propre à une conception binaire du monde, le silence et l’invisible seraient donc des intrus acculés, alors que les êtres visibles et bruyants sont culturellement admirés.

Dans l’espace, les guerrier.è.re.s sont devenu.e.s des anges- guerrier.è.re.s silencieu.ses.x, qui nous embrassent et nous entourent d’amour à l’aide de leurs bras et de leurs jambes disproportionnés. Love to us, Fabulously free, et No more saviours, Me, sont les oeuvres dans lesquelles Inês Zenha nous propose une reconciliation avec la volonté d’aimer. Cette série de personnages accompagne dans la découverte de cette grande maison dans laquelle Inês Zenha s’est enfermée. L’artiste devient l’hôte d’un lieu : Becoming- Impenetrable, au sein duquel la présence de ses anges nous rappelle qu’il y a une part de mystère dans notre quotidien, que nous nous considérons comme spirituel.le.s ou non. Selon les mots de bell hooks, cette expérience du mystère nous permet « de recevoir des bénédictions sans savoir comment nous y sommes arrivés. Souvent, en regardant les événements rétrospectivement, nous pouvons tracer un schéma qui nous permet de reconnaître intuitivement la présence d’un esprit invisible qui guide et dirige notre chemin.4 ». Pourrait-on donc envisager que le mystère ne soit pas seulement voué à être percé par la parole, mais potentiellement par l’attention au silence et à l’invisible ? Ainsi peut-être et seulement, sommes-nous capables d’amour.

[EN]

Born in Portugal in 1995, Inês Zenha now lives and works between Paris (France) and Lisbon (Portugal).
She expresses her art through a wide range of media (installations, paintings, ceramics) and uses it to question the formal and conceptual representation of the body. A body burdened by heteropatriarchal values, a body that strives to liberate itself and create a new space. The work explores identity, desire, vulnerability, and constantly evolving questions of power. Having recently settled in Paris following her residency at La Folie Barbizon, Zenha was given significant exposure by the Double V Gallery in 2022 with a spotlight at the ARCOmadrid and ARCOlisbon art fairs, and her first solo exhibition in France. Her work has since entered the Centro de Arte Dos de Mayo collection in Madrid and the Marval Collection in Milan.

Text by Chloe Bonnie More :

Inês Zenha’s art is a vast home where she has taken refuge for several years as a way to protect herself from a form of insanity. I have a very precise memory of our first meeting while she was getting her degree at Central Saint Martins in London. Our conversation began on a bench outside the school, with a hand-rolled cigarette and a paper cup. We were students and broke at the time. Yet I couldn’t help but feel overwhelmed by the work Inês was doing, which – despite a certain paucity of materials that was very much a reflection of our situation – gripped me with an almost stupefying power. Monumental, that’s how I remembered it when, years later, I encountered Inês in her studio, with her hands in the soil or covered in paint. Silent vertigo, this could serve as another description of the monumental work, just as it could also define the years that passed since its creation. Vertigo is another form of relationship that she maintains with her work, one that, in contrast to the illusion of extravagance the work can inspire, is sometimes extremely reclusive and exhaustingly intimate.

For the Impénétrable exhibition, Inês Zenha oscillates between the abstract and the figurative, between blue and pastel pink, with sculptures of flayed-open windows and paintings of warriors in Silently Rooted in Us. Commonly associated with war, these warriors are reminiscent of the Penates, the Roman mythological fig-ures who protected the home and gave rise to the word « penetration ». Imagined as a fragment of a home, the sculpture Re-assembling femininity, which is made of the debris of doors and windows that have visible marks from impacts yet still resist all attempts at intrusion. Thus, Inês Zenha creates an impenetrable safe space within the installation that offers a silence that visitors are invited to share. The latency in the work is none other than the expectation that « the value of words will be fully restored1 ».

There is an irony when we consider that the definition of penetration is to penetrate a place, yet it also means “to succeed in understanding or gaining insight into”. Rituals of protection have thus disappeared, giving way to intrusion and the idea that this allows one to grasp the world and its subtleties. However, this irony is not a laughing matter, and this is specifically what Inês Zenha reveals by recreating protective figures devoid of any sexualized interests. In the paintings, Zenha’s fluid autobiographical characters reappear as a device, and move between woman and animal in order to ren-der visible a gender

hybridity that the artist likens to water: elusive and impenetrable. The liquid thus has a central place on the canvas; it functions as roots that bind the two warriors together, while also cutting them off from their exposed sexual organs, as if breaking free from them. On the subject of therolinguistics and the communicative universe of animals, Vinciane Despret stresses « the imperative need to break away from privileging the visible2 ». As with silence, the invisible produces the manifestation of a malaise, « the immediate at-tempt to suppress it as an intruder3 ». In the dialectic of a binary worldview, silence and the invisible are unwelcome intruders, while the visible and loud are the subject of cultural admiration.

The warriors have become silent warrior-angels in this space, and, with their disproportionate arms and legs, they embrace us and envelop us with love. Love to Us, Fabulously Free, No More Saviors, Me... these are works where Inês Zenha proposes a reconciliation with the will to love. This collection of characters offers us the possibility of sharing this vast home where Inês Zenha has enclosed herself. The artist becomes the host of a Becoming-Impenetrable space, where the presence of angels reminds us that there is a realm of mystery in our daily lives, whether we see ourselves as spiritual or not. In the words of bell hooks, « We find ourselves in the right place at the right time, ready and able to receive blessings without knowing just how we got there. Often, we look at events retrospectively and can trace a pattern, one that allows us to intuitively recognize the presence of an unseen spirit guiding and directing our path.4 » Could this mystery be envisioned as something that is not only destined to be pierced by words, but also, potentially, by the attention given to silence and the invisible. Perhaps in this way, and only in this way, we are capable of love.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
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