J’emporterais le feu

Alice guittard


Après son premier solo show à Marseille en 2021, la galerie est très heureuse de présenter « J’emporterais le feu », la première exposition personnelle d’Alice Guittard à Paris.

Du 26 novembre 2022 au 7 janvier 2023

Ouvert du mardi au samedi de 10h à 18h

37 rue Chapon, 75003 Paris

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After her first solo show in Marseille in 2021, the gallery is very pleased to present "J’emporterais le feu", Alice Guittard's new solo exhibition in Paris.

From 26 November, 2022 to 7 January, 2023

Open from Tuesday to Saturday, 10am - 7pm

37 rue Chapon, 75003 Paris

FR

« 1 appartement contient des pièces qui contiennent des meubles qui contiennent des dossiers où gît la vie ; la vie n’est pas un simple annuaire d’objets privés. Le vif saisit le mort. » Thomas Clerc.

Cela serait comme une tentative d’épuisement. Une partie de dés truquée, ou bien une quête sisyphéenne. Une tentative impossible donc, de celles qui fournissent à la fiction son meilleur combustible. La nouvelle série d’œuvres d’Alice Guittard, et leur mise en espace au sein de l’installation totale J’emporterais le feu, pourrait constituer un pendant aux romans de voyages immobiles. Alors, on pense, au sein de cette généalogie d’explorateur·rice·s « sans vapeur et sans voile », comme l’écrira Baudelaire dans Le Voyage, à Xavier de Maistre, entreprenant de faire le tour de sa chambre en 42 jours (Voyage autour de ma chambre, 1795). Ou encore, à Huysmans, enfermant son personnage dans la décadence décorative de Fontenay aux Roses (À rebours, 1884). Et puis, plus proche de nous, à Thomas Clerc couchant sur le papier trois années à arpenter son appartement (Intérieur, 2013).

En partage avec eux, Alice Guittard possède le vagabondage qui, de l’ordinaire, fait sourdre des univers. Elle aussi déniche l’ailleurs à fleur de commun, prête l’oreille aux mythologies ordinaires des objets fabriqués en série, et démultiplie les strates mémorielles tapies sous l’anesthésie de l’habitude. Seulement, l’artiste s’exprime par le visuel et le tangible, les formes et la matière : autant de stratagèmes à inventer au sein de l’espace de la galerie Double V. Si celle-ci accueillait l’an passé à Marseille son exposition échec — plaisir, ce volet coïncide, pour Alice Guittard, tout autant avec sa première proposition personnelle à Paris qu’elle marque l’envie de raconter son histoire : la personnelle, l’intime, l’intérieure et celle d’un intérieur. En 2022, elle accède, après une vie de nomadisme passée entre Nice, Marseille, Reykjavik, Istanbul, Paris et Lisbonne, à un atelier-logement à Paris. Sédentarisation peut-être, matière à topobiographie certainement.

Le titre de la proposition en découle. J’emporterais le feu est la réponse de Cocteau à la question : « Si le feu brûlait votre maison, qu’emporteriez-vous ? ». À son tour, Alice Guittard répertorie les intérieurs qu’elle a connus, habités, arpentés ; peuplés d’objets- totems ouvrant sur des portes dérobées, des perspectives faussées et des fictions fantasques. Cette concrétion d’espaces et de temporalités prend forme par un dessin en perspective aplanie, où chaque pièce, de la cuisine à la chambre, de la salle de bain au salon, symbolise un moment de sa vie. En leur sein prennent place divers éléments, réalisés dans sa technique de prédilection depuis 2018 : la marqueterie de marbre.

A la galerie Double V, cela sera, en illusion tronquée, un parcours initié par la rencontre fortuite avec une théière géante – premier plan oblige. Une théière, ou l’épure d’une théière, tant son dessin nous apparaît ordinaire : d’une rassérénante rondeur, support à la méditation et à l’élongation du temps. Sur le chemin vers les territoires de l’imaginaire, la même théière réapparaîtra, plus petite, dans la chambre. Et l’on entend déjà, bien qu’encore au seuil, résonner cette invective : « Faites l’inventaire de vos poches, de votre sac. Interrogez-vous sur la provenance, l’usage et le devenir de chacun des objets que vous en retirez. Questionnez vos petites cuillères. Qu’y a-t-il sous votre papier peint ? » (Georges Perec, L’Infra-ordinaire, 1989).

L’inventaire d’Alice Guittard comprend un jeu de clés, un cendrier, un porte-bouteilles, un miroir-vagues Ikea, une série de tableaux ou une fenêtre reflétant la perspective du salon. Ces reflets, cadres et ouvertures posent la question de la représentation des articulations paradoxales, entre réel et fiction, intérieur et extérieur, présent et temporalités gigognes. Et puis s’ajoute cet autre glissement, du dessin à la sculpture, conditionné par une technique séculaire qui décuple le flottement du souvenir par la perte de contrôle inhérente à un processus minutieux. La plaque de marbre, rappelle l’artiste, qui réalise ses œuvres dans une carrière à une heure de Lisbonne, charrie le vécu antérieur de la pierre. Certes éternelle, celle-ci demeure friable lors de sa découpe, opération périlleuse venant conditionner la saisie incertaine du souvenir.

La tentative, on le comprend, ne saurait simplement correspondre à la capture. Sans le corps singulier, le regard subjectif, et la configuration sensible du ou de la regardeur·se, la maison idéale demeurerait muette comme une tombe, aléatoire comme un plan sur la comète. J’emporterais le feu est un appel, une adresse : le moment précédant l’embrasement, où tous les possibles restent en jeu. Il s’agit en cela, et pour le dire avec Thomas Clerc, de cet instant liminaire où « chaque objet doit être dépassé pour naître », et à partir duquel « le vif saisit le mort. »

Ingrid Luquet-Gad




EN

“Apartments contain rooms that contain some furniture that contains files wherein a life has been stored away; life isn’t a simple directory of personal belongings. Life overpowers death.” – Thomas Clerc

It would be like an attempt at exhausting a place. It’s a no-win situation or even a Sisyphean quest. Therefore, an attempt at the impossible, the kind that provides fiction with its best fuel. The new series of works by Alice Guittard, and their setting within the broader installation J’emporterais le feu [I’d take the fire], could complement the great novels that evoke stationary journeys. This leads us to consider the complete genealogy of the explorers “without steam and without sails”, as Baudelaire described it in The Voyage. Explorers such as Xavier de Maistre, who undertook a 42-day tour of his room (A Journey Around My Room, 1795). Or Joris-Karm Huysmans, who locked his protagonist within the decadent décor of a country house in Fontenay-aux-Roses (À rebours, 1884). Or, in our time, Thomas Clerc, who made a detailed, three-year survey of his apartment (Interior, 2013).

By partaking in this tradition, Alice Guittard embraces a form of creative exploration that allows new universes to emerge from the ordinary. She too uncovers the otherworldly at the edge of the commonplace, opens herself to the ordinary mythologies of mass- produced objects, and reveals the multiplicity of memory lurking beneath the anesthetic of routine. However, here the artist expresses herself through the visual and the tangible, with forms and with matter; an array of stratagems are brought to life within the space of the Double V Gallery. After having hosted her exhibition échec – plaisir [failure – pleasure] in Marseille last year, this new presentation of her work at the Double V, along with a solo show in Paris, marks Alice Guittard’s desire to tell her story: one that is personal, intimate, interior, and that of an interior. In 2022, after a life of nomadism spent between Nice, Marseille, Reykjavík, Istanbul, Paris, and Lisbon, she arrived in an atelier-apartment in Paris. A more sedentary existence, perhaps, but unquestionably a subject for topobiographical inquiry.

The title of the exhibition serves as a reflection. “I’d take the fire” was Jean Cocteau’s answer to the question: “If a fire burned down your house, what would you take with you?” In the same manner, Alice Guittard creates a repertory of the interiors she has known, inhabited, surveyed; interiors filled with object-mementos that divulge concealed doors, distorted perspectives, and fantastical fictions. This concretion of spaces and temporalities takes shape through a composition with a flattened perspective, where each room – from the kitchen to the bedroom, from the bathroom to the living room – symbolizes a moment of the artist’s life. A range of elements have their place within each space, among them items produced with a technique that has been preferred by the artist since 2018: stone inlay.

By means of a truncated illusion, this journey at the Double V Gallery is initiated by a chance encounter with a giant teapot – in the foreground, of course. A teapot, or perhaps a synopsis of a teapot considering how ordinary the design appears; a pure expression of reassuring roundness, facilitation of meditation, and elongation of time. Advancing through these territories of the imagination, the same teapot reappears elsewhere in the room, smaller. And even there at the threshold, a resounding directive can be heard: “Make an inventory of your pockets, of your bag. Ask yourself about the provenance, the use, what will become of each of the objects you take out. Question your teaspoons. What is there under your wallpaper?” (Georges Perec, The Infra-Ordinary, 1989).

Alice Guittard’s inventory includes a set of keys, an ashtray, a bottle holder, a wavy Ikea mirror, a series of paintings, and a window reflecting the perspective of the living room. These reflections, frames, and openings raise questions about the representation of paradoxical connections between reality and fiction, interior and exterior, present and overlapping temporalities. And then there is another shift, from drawing to sculpture, enabled by a centuries-old technique that provokes a tenfold increase in memory’s incertitude due to the loss of control inherent in such a meticulous process. The artist creates her marbles in a quarry an hour from Lisbon, and she reminds us that each slab carries the stone’s previous experiences. While definitively eternal, this one becomes brittle at the time of cutting, resulting in a perilous operation that further destabilizes the uncertain recording of memory.

The attempt, one realizes, cannot simply correspond to this process of capturing. Without the singular body, the subjective gaze, and the responsive configuration of the viewer, the ideal house would remain as mute as a tomb, as unreliable as a structure built on sand. J’emporterais le feu is a summons, an invitation: that moment before the conflagration when all possibilities remain in play. To express it in harmony with Thomas Clerc, it is here, in this liminal instant, that “each object must be transcended to be born”, and from that point on, “life overpowers death”.

Ingrid Luquet-Gad