Ugo Schiavi

Ugo Schiavi “Soulèvement-Effondrement” • Paris+ par Art Basel •Sites Sector, Jardin des Tuileries, Paris, 2022

[ FR ]

Né en 1987 à Paris, Ugo Schiavi vit et travaille à Marseille (FRA).

Diplômé de la Villa Arson (Nice) et lauréat du prix Bernar Venet en 2011, sa collaboration avec l’artiste Thomas Teurlai l’année suivante marque le début de ses recherches plastiques autour des notions de prélèvement et d’archéologie.

Il multiplie les résidences en France et à l’étranger, et participe à de nombreuses expositions institutionnelles dont Nuit Blanche, Le Voyage à Nantes, Annecy Paysages, un solo show au musée des Beaux-Arts d’Orléans, au musée Réattu d’Arles, au CAB Grenoble... Cette année la galerie lui dédiera un nouveau focus au salon Art-O-Rama, avant que l’artiste participe à la Biennale de Lyon en septembre 2022.

Les sculptures d’Ugo Schiavi se présentent comme des fragments de corps érodés par le temps à destination d’une archéologie d’avenir. À la statuaire glorieuse et pétrifiée, l’artiste moule et greffe des éléments contemporains de façon à tisser ensemble archive historique et mémoire collective.

Ses récentes créations sont le fruit de plusieurs années de recherches et d’expérimentations sur les questions relatives à l’hybridation et la contamination dans l’ère de l’Anthropocène. En restant fidèle à sa pratique du prélèvement et de la capture du monde extérieur, l’artiste produit des télescopages de temporalité et de civilisation allant de la culture antique à celle de la surproduction industrielle. Il conçoit des êtres hybrides : sortes de chimères composites formées d’objets et de matériaux hétérogènes, comme jaillis de l’inconscient de nos sociétés post-industrielles.

[ ENG ]

Born in 1987 in Paris, Ugo Schiavi lives and works in Marseille (FRA).
Graduated from the Villa Arson (Nice) and winner of the Bernar Venet prize in 2011, his collaboration with the artist Thomas Teurlai the following year marked the beginning of his plastic research around the notions of sampling and archaeology.

He multiplies residencies in France and abroad, and participates in numerous institutional exhibitions including Nuit Blanche, Le Voyage à Nantes, Annecy Paysages, a solo show at the Musée des Beaux-Arts d’Orléans, the Musée Réattu in Arles, the CAB Grenoble...

This year the gallery will dedicate a new focus to him at Art-O-Rama art fair, before the artist participates in the Lyon Biennial in September 2022.
Ugo Schiavi’s sculptures are presented as fragments of bodies eroded by time, destined for an archaeology of the future. To the glorious and petrified statuary, the artist molds and grafts contemporary elements in order to weave together historical archive and collective memory.

His recent creations are the result of several years of research and experimentation on issues of hybridization and contamination in the Anthropocene era. In keeping with his practice of taking and capturing the outside world, the artist produces telescopes of temporality and civilisation ranging from ancient culture to that of industrial overproduction. He conceives hybrid beings: a sort of composite chimera made up of heterogeneous objects and materials, as if springing from the unconscious of our post- industrial societies.

Le sang de la Méduse

Que reste-t-il d’un corps, dès lors que l’évidence de son enveloppe lui est ôtée ? Un membre esseulé, un fragment pétrifié ou une coquille éventrée suffisent-ils encore à l’évoquer ? Et que dire d’une cristallisation contre-nature d’éléments disparates, d’une germination énergétique frémissante ou encore d’un réseau veineux noué comme une pelote ? Le vocabulaire sculptural d’Ugo Schiavi aborde de front la mise en crise des systèmes de représentation totalisants : ceux des corps, qu’ils soient humains ou non-humains, qu’ils se tiennent dans l’espace offerts à la préhension ou s’ouvrent à la fabulation par le biais de mythes immémoriaux. Si les premières pièces de l’artiste mobilisèrent les gestes du moulage, de l’empreinte ou du prélèvement, les plus récentes s’ouvrent à l’agglomération syncrétique de matériaux ou d’images, notamment par le scan 3D ou la photogrammétrie.

Au cœur d’un registre étendu de procédés, balayant le spectre des techniques sculpturales telles qu’elles jalonnent l’histoire de la représentation, la même interrogation fondamentale demeure. Celle-ci est propre à l’artiste, tout autant qu’elle marque l’origine temporelle de sa réflexion. Ugo Schiavi se retourne vers le passé et l’histoire de la sculpture pour mieux creuser l’écart. Certes, l’artiste convoque, au fil des différentes séries qu’il présente dans le nouvel espace de la Galerie Double V à Paris, des répertoires formels aussi divers que la statuaire antique, les gargouilles médiévales, la sculpture baroque ou les allégories du 19e siècle. Et pourtant, quelque chose les relie, qui d’une opération juxtaposition fait émerger une proposition d’ensemble, que l’on parcourt alors en immersion -- ou plutôt, en apnée -- happé.e.s par une texture matériologique mutante.

Il y a, d’une part, la donne individuelle : ici, c’est une intention, celle de l’artiste, celle qu’il nous adresse, qui travaille un matériau, et lui confère sa singularité. Au premier abord, chacune des sculptures semblent soumises au cours du temps, suspendues entre la flétrissure et la régénération, mais cette impression-là est un leurre : elle est fabriquée et conquise, le fait de l’art et de l’artifice plutôt qu’une simple évidence naturelle. Ugo Schiavi œuvre depuis une époque où les corps, en même temps que fragmentés, tendent simultanément à être représentés comme immuables, éternels et englués dans un présent perpétuel. Ainsi, le cours du temps n’a plus rien d’inéluctable, car de toutes part, la chair est embaumée : celle du numérique ne se flétrit pas ; celle de la vie réelle augmentée en proie aux expériences transhumanistes. L’humain a tant et si bien fantasmé de stopper net la finitude qu’au seuil de sa réalisation, iel se retourne et réalise son erreur : l’existence n’a de saveur qu’à être transitoire, tout comme la fragilité conditionne la beauté.

On a souvent voulu éclairer le présent par la science-fiction, sans cependant comprendre qu’une telle spéculation fige d’emblée toute possibilité d’invention et d’action. A l’inverse, lorsqu’Ugo Schiavi plonge dans l’histoire de l’humanité, il maintient ouvert le présent qu’il reconquiert en acte. Dans son essai Ruines bien rangées (2020), la philosophe Hélène Cixous écrit comme en écho : « Il y a un lieu où commencefinit l’Histoire, c’est-à-dire l’histoire d’une histoire, une scène étroite surélevée du haut de laquelle on voit arriver le futur du passé ». L’exposition Le Sang de la Méduse en témoigne : elle ce lieu où rien encore n’est figé. Et si l’artiste a choisi d’élire comme figure élective la Méduse de la mythologie grecque, c’est encore pour en déplacer la réception habituelle. Plutôt que le regard pétrifiant, Ugo Schiavi en retient la puissance génératrice : seule mortelle des trois Gorgones, son sang versé sur les algues fera naître le corail. La fluidité n’est plus seulement l’apanage de la surface numérique ; elle se trouble dès lors de l’incertitude génératrice du vivant.

Ingrid Luquet-Gad

The blood of Medusa

What remains of a body after the evidence of all that once enveloped it is gone? Is a solitary limb, a petrified fragment, or a disemboweled shell enough to conjure its essence? What about an unnatural crystallization of disparate elements, a quivering and energetic germination, or a veiny network knotted up like a ball of yarn? Ugo Schiavi’s sculptural vocabulary examines the crisis of totalizing systems of representation and their treatment of bodies, whether human or non-human, whether presented in a manner that facilitates prehension or left open to fabulous interpretations through the lens of enduring mythologies. While the artist’s first works incorporated traditional gestures such as molding, imprinting, or subtracting, the more recent pieces embrace a syncretic amalgamation of materials or images, notably using 3D scanning or photogrammetry.

Even after sweeping aside the spectrum of sculptural techniques that have staked out the history of representation, a fundamental line of questioning underpins any expanded register of approaches. This is true of the artist, especially since it encompasses the temporal origins of his creative reflections. Ugo Schiavi turns towards the past and draws upon the history of the sculpture to better deepen the representational divide.

Certainly, with the different series that he presents in the new space at the Double V Gallery in Paris, the artist evokes formal repertoires as diverse as ancient statuary, medieval gargoyles, Baroque sculpture, and 19th-century allegories. And yet, something connects them, something emerges from the juxtapositions, a notion of an ensemble that we can only properly consider through an immersion – or rather, a deep dive – that ensnares us within a materially mutated texture.

On the one hand, there is individuality: there is a creative intention here, the one envisioned by the artist, the one he has addressed to us and that develops a material and gives it its singularity. At first glance, each sculpture seems to be subjected to the passage of time, suspended between withering and regeneration; however, this impression is an illusion: it is manufactured and captured, a fact of art and artifice rather than a simple, natural inevitability. Ugo Schiavi’s works summons up this era when bodies, while fragmented, tend to be simultaneously represented as immutable, eternal, and mired in a perpetual present. Thus, the passage of time is no longer ineluctable because flesh is being embalmed everywhere: that of the digital realm that does not wither; that of real life that is being augmented by transhumanist experiments. The human being has fantasized so profoundly and so capably about the possibility of stopping finitude that at the threshold of this achievement, they pause and realize their mistake: existence can only be savored when it is transitory, just as fragility is a condition of beauty.

We have often wanted to enlighten the present through science fiction, without grasping the truth that such speculation instantly freezes all possibility of invention and action. On the contrary, when Ugo Schiavi dives into the history of humanity, he maintains the possibilities of the present and reclaims its potential through the artistic act. In her essay Ruines bien rangées [Tidy Ruins] (2020), the philosopher Hélène Cixous seems to echo his work: “There is a place where history begins-ends, that is to say, the history of a story, a narrow, raised stage that when mounted allows one to see the future arrive from the past.” The exhibition Le Sang de la Méduse [The Blood of the Medusa] testifies to this: it is a space where nothing is yet frozen. And if the artist has designated the Medusa of Greek mythology as his emblematic character, it is to once again disrupt established perceptions. Rather than her petrifying gaze, Ugo Schiavi champions Medusa’s generative power; the only mortal among the three Gorgons, when her blood spilled upon the seaweed, it gave birth to coral. Fluidity is no longer a strict realm of the digital surface; it becomes clouded by life’s generative uncertainty.

Ingrid Luquet-Gad